EPISODE 7
RENCONTRE : Dr Claire Laurant
Plantes médicinales des femmes entre éthique, science et tradition
Présentation
Dans cet épisode, il est question d‘une rencontre avec la Dr Claire Laurant, ethno-botaniste et anthropologue. Durant cette riche conversation enregistrée chez moi au Mexique, Claire nous raconte son parcours et son travail auprès des sages-femmes traditionnelles mexicaines depuis plus de 40 ans. Elle nous partage son amour pour les plantes médicinales, elle aborde également l’importance de l’éthique lorsqu'il s’agit de travailler avec d’autres cultures dans une démarche de préservation de savoir, et enfin, elle partage sa vision aiguisée afin de nous inciter à user d’une façon juste et responsable les plantes médicinales.
Bonne écoute
Quelques livres et ouvrages de Claire Laurant notre invité dans ce podcast :
Laurant-Berthoud, C., Mollet, C., & Quemoun, A. (2016). Du bon usage des plantes médicinales : 57 plantes et leur meilleure forme galénique.
D’Hennezel, M., & Laurant-Berthoud, C. (2019). Des plantes médicinales dans mon jardin. Éditions Jouvence.
Laurant-Berthoud, C. (2016). Se détoxiquer au naturel par les plantes. Éditions Jouvence.
Laurant-Berthoud, C. (2013). Tisanes : guide pratique pour toute la famille. Jouvence Santé.
L’ouvrage du Dr Aline Mercan cité durant ce podcast Mercan, A. (2021). Manuel de phytothérapie écoresponsable : se soigner sans piller la planète.
Crédit :
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Ecriture, réalisation et narration : Camille Pelloux
Invitée : Dr Claire Laurant
Photos : Camille Pelloux
Illustration : Carlos Vazquez Ruckstuhl
Mixage : Luis Armando Martínez Morales
Générique : Accralate de Kevin Macleod
Retranscription
Camille Pelloux
Des Racines Naissent Les Fleurs, un podcast pour un art de vivre avec la terre, enraciné dans les réalités de notre temps. Ici, on parle de plantes médicinales, de naturopathie ou encore d'agriculture régénérative.
Je suis Camille Peloux de l'école en ligne Déa Terra et ce que je souhaite ici, c'est partager des réflexions, des connaissances et des échanges avec des personnalités inspirantes. Je suis vraiment ravie de vous retrouver pour cette série audio.
Vous trouverez toutes les références et les sources citées dans cet épisode dans la page dédiée à ce podcast sur mon site internet. Le lien de cette page se situe dans la description.
Par ailleurs, je voulais vous rappeler que cet épisode et tous les épisodes visent à la préservation de savoir, à l'éducation et au partage de connaissances. Je ne suis ni médecin ni pharmacienne, alors ne faites pas d'imprudence, n'arrêtez pas de traitement en cours et demandez toujours l'avis de votre médecin ou de votre spécialiste de santé en cas de doute.
Bonjour à toutes et à tous, et bienvenue pour ce nouvel épisode du podcast Des Racines Naissent Les Fleurs.
Alors pour cet épisode, je suis très heureuse d’avoir comme invitée le Dr. Claire Laurant, qui est avant tout une amie, et j’avais envie de l’inviter dans cet épisode parce qu’on a bien souvent plein de conversations très intéressantes et elle a beaucoup de choses à nous transmettre, donc j’avais envie de pouvoir lui poser quelques questions, qu’elle vous partage ce qu’elle a à dire sur ses domaines d’expertise et qu’elle vous partage aussi les résultats de ses recherches de ces quarante dernières années.
Alors on est en train d'enregistrer le podcast au Mexique, parce que l’un des points sur lesquels on s’est rencontrées c’est sur cette passion qu’on a en commun du Mexique et du coup le podcast on l’enregistre depuis ma maison à Oaxaca. Et du coup je vais donner la parole à Claire pour qu'elle puisse se présenter et qu'elle vous raconte un petit peu à quoi elle se dédie.
Claire Laurant
Bonjour Camille, merci de me donner l'opportunité de pouvoir partager ma passion des plantes et mon aventure avec les sages-femmes traditionnelles mexicaines depuis effectivement plusieurs décennies.
Camille Pelloux
Alors du coup Claire, tu es docteure en anthropologie et ethnobotaniste, c'est bien ça ?
Claire Laurant
Absolument, donc je m'intéresse aux plantes médicinales depuis très longtemps, en fait, depuis que j'ai fait mon premier terrain comme on dit au Mexique, où j'ai complètement par hasard frappé à la porte d'un institut qui cherche une ethnologue pour travailler avec les sages-femmes traditionnelles et notamment faire un travail sur les plantes des femmes et des plantes qui sont utilisées autour de l'accouchement.
Camille Pelloux
Magnifique. Et du coup, maintenant ça fait 40 ans que tu te dédie à ce travail avec les sages-femmes traditionnelles. C'est bien ça ?
Claire Laurant
Absolument. En fait, j'ai découvert un monde absolument fantastique. La précision de la connaissance et de transmission de la connaissance depuis des générations, voire des millénaires, et avec des usages très particuliers.
Camille Pelloux
Est-ce que tu veux nous partager un petit peu, du coup, on va dire, qu’est-ce que cette rencontre avec les sages-femmes traditionnelles et cette rencontre avec cet univers, ça t'a ouvert ? Sur quelle piste ça t'a mené ? Et est-ce qu'il y a eu un après, on va dire ?
Claire Laurant
Complètement, on pourrait parler même de chocs culturels absolument profonds et complètement fascinants. Parce qu'il s'est avéré, j'étais très jeune quand j'ai commencé à faire ces recherches, j'avais des idées préconçues, bien académiques et très ancrées, on va dire, et les sages-femmes ont commencé à me parler d'une plante, qui s'appelle “la plante des femmes” d'ailleurs en langue des Aztèques qui est le nahuatl, et cette plante des femmes effectivement était donnée pour faciliter l'accouchement vers 6-7 de dilatation, toujours de la même façon, mais elle était aussi donnée vers 7-8 mois de grossesse pour prévenir un accouchement prématuré ou éventuellement pour avorter dans les deux premiers mois de la grossesse. Donc quand j'ai commencé à faire ce terrain et à collecter ces données, je me suis dit que c'est complètement vraisemblable, complètement aberrant. Soit je ne comprends pas ce qu'elle me raconte, ces sage-femme, soit elle me raconte des choses qui ne sont pas correctes. Et puis en fait, on a analysé... cette plante en laboratoire et on s'est aperçu qu'elle avait une inversion d'effet en fonction de la progestérone circulante dans le plasma. Donc là pour moi effectivement le voile s'est déchiré parce que les femmes qui utilisaient cette plante, elles étaient toutes soi-disant ignares, analphabètes et tout ce qu'on voudra à nos yeux d'occidentaux, universitaires etc. Et en fait elles avaient une précision dans la connaissance et l'usage de la plante, des dosages, de à quel moment la donner dans quel objectif thérapeutique, était totalement fascinant. Donc du coup je suis tombé dans la marmite et je n'en suis plus jamais ressorti. C'est la Montanoa tomentosa et donc en nahuatl elle s'appelle siwa patli. Siwa ça veut dire femme et patli ça veut dire plantes ou herbes ou remèdes. Remède et herbe sont synonymes, ce qui est intéressant aussi.
Camille Pelloux
Wow, c'est très intéressant. Et pourquoi t’a étudié justement le travail des accoucheuses traditionnelles mexicaines, des sages-femmes traditionnelles mexicaines, et pas par exemple les sages-femmes en Europe, ou en France, ou en Suisse ? Pourquoi tu as choisi cette zone géographique à laquelle tu t'es dédiée ?
Claire Laurant
Le Mexique était mon chemin. C'est difficile de dire autre chose, je pense. Ou même une monomanie, quelque part haha. En revanche, les sages-femmes traditionnelles, rien du tout : évidemment, je m'intéressais aux médecines traditionnelles, à l'anthropologie médicale surtout mais d'un aspect très théorique, et surtout ce qui m'intéressait c'était l'ethnopsychiatrie. Et en fait j'étais venue faire de l'ethnopsychiatrie, et c'est un pur hasard que je me sois retrouvée avec des sages-femmes traditionnelles. Ce n'était pas du tout mon objectif, mais s'est présenté cette proposition de travail que j'ai trouvée intéressante, et puis c'est devenu une passion dont je ne suis plus jamais revenue, on va dire.
Camille Pelloux
Est-ce que tu pourrais présenter ce que c'est qu'une sage-femme traditionnelle ? Parce que peut-être que c'est une notion qui est un peu floue pour nous autres, on va dire en France, en Suisse, en Europe, en Occident. Est-ce que tu pourrais peut-être expliquer un petit peu ce qu'on entend par sage-femme traditionnelle ?
Claire Laurant
Alors effectivement, c'est très important de définir les termes qu'on utilise parce qu'en fonction des cultures, ils ne veulent pas dire forcément la même chose, et que “traditionnel”, quand on parle en Europe de “médecine traditionnelle”, c'est la médecine allopathique. Alors je vais parler pour le continent américain que je connais mieux, mais quand on parle de “médecine traditionnelle” en Chine, c'est la médecine traditionnelle chinoise, en Inde c'est l’Ayurveda, au Mexique c'est effectivement, alors on ne va pas dire la “médecine préhispanique” parce que ce serait très présumé des capacités que ces thérapeutes ont de construire leur connaissance, c'est dynamique la connaissance en tous les cas en matière de thérapeutique, et cette connaissance effectivement, elle est issue systématiquement de métissages culturels. Et elle est chez les thérapeutes qu'on appelle “traditionnels” sur le continent américain, c'est des thérapeutes qui ont reçu un enseignement en général par vos orales de génération en génération. Alors ça c'est la définition stricte qu'on pourrait donner, mais maintenant, effectivement, les contextes ont évolué : la plupart des sages-femmes ou des “thérapeutes traditionnels” comme on dit, sont scolarisés, reçoivent d'autres enseignements et reconstruisent de nouvelles pratiques thérapeutiques, on pourrait dire.
Camille Pelloux
Est-ce que tu pourrais parler de la figure de la sage-femme traditionnelle ? Parce que je sais que, enfin il me semble que c'est une figure importante et qu'on entend par sage-femme en Occident, on a la notion de la sage-femme qui va aider au moment de l'accouchement et accompagner peut-être pendant l'après, dans un contexte médicalisé, est-ce que tu pourrais du coup peut-être remplacer ce qu'on entend par sage-femme aussi traditionnelle dans son rôle par rapport à la zone biographique que tu as étudiée ?
Claire Laurant
Oui, c'est très important effectivement parce que c'est la sage-femme traditionnelle, en tous les cas, en ce qui concerne le Mexique, a un statut social extrêmement particulier dans sa communauté, c'est quelqu'un qui est reconnu, qui est respecté, et souvent qu'on va voir pour des conseils qui d'ailleurs dépassent amplement le cadre des processus grossesse-accouchement, des cycles de vie. Donc ce sont des femmes qui ont une notoriété, ce sont des femmes qui sont respectées, et la plupart du temps d'ailleurs elles ne sont pas que sage-femme, elles sont souvent herboristes, elles sont de toute façon toujours masseuses parce que les massages font partie des pratiques traditionnelles donc là c'est un héritage pour le coup, c'est un héritage tout à fait pré-colombien et elles ont effectivement d'autres pratiques aussi.
Camille Pelloux
Et c'est intéressant parce que justement tu me racontais hors micro que il y a des traces du rôle de la sage-femme qui était reconnue aussi dans la société pré-hispanique, est-ce que tu voudrais en dire un mot là-dessus ?
Claire Laurant
La sage-femme avait déjà un statut extrêmement particulier en tous les cas dans la culture nahuatl, qui est donc la culture aztèque, qu'on connaît plus ou moins en Occident. Donc cette sage-femme était plus qu'une sage-femme. Elle avait un rôle spirituel, elle avait un rôle rituel. Elle était d'ailleurs considérée, elle avait un statut plus de médecin obstétricien, gynécologue que simplement “la femme qui accompagne les femmes dans leur accouchement”. Dans le rôle rituel, elles accompagnaient les jeunes couples en les conseillant, en leur expliquant des interdits, des choses qu'ils ne devaient pas transgresser pour que le bébé aille bien, le fœtus se développe correctement, mais aussi au moment de la naissance, elles avaient un peu un rôle de, entre guillemets, de “prêtre”, on pourrait dire, parce qu'elles faisaient en fait ce rituel de permettre à l'enfant de s'incarner en lui donnant un nom et en lui donnant effectivement ce qu'on appelle le souffle, le tonali, qui est aussi ce qu'on pourrait appeler l'énergie vitale et qui permettait effectivement à cet enfant d'arriver sur Terre et de pouvoir accomplir sa mission. Parce que chez les Aztèques, cette notion de mission était très importante et reliée au calendrier aztèque. Et donc, en fonction du jour où l'enfant naissait, des conditions dans lesquelles il naissait, etc., il avait à développer dans la société certains talents et aussi à dépasser certaines difficultés. Donc, la sage-femme était là pour le prévenir et ancrer, quelque part, sa mission sur Terre, on pourrait dire.
Camille Pelloux
C'est merveilleux. Wow, Claire, qu'est-ce que c'est intéressant ! Et du coup, pourquoi pour toi est-ce que c'est important d'étudier ces pratiques traditionnelles ? Tu viens d'Europe, t’es européenne, tu étudie une pratique qui est originaire du Mexique, des pratiques traditionnelles aztèques, et du coup pour toi pourquoi c’est important d’étudier, de parler de ces pratiques là, et comment faire pour respecter ces pratiques là et pour qu’elles soient pas justement dénaturées, et éviter les dérives qu’il peut y avoir autour du fait de parler de pratiques qui ne sont pas issues de notre culture. Pourquoi c’est important de parler de ces savoirs, de ces pratiques ; et comment on fait pour parler de ces savoirs et de ces pratiques dans un cadre respectueux, et en évitant au maximum les dérives. Voilà, je ne sais pas si je suis claire dans ma question.
Claire Laurant
Si, c'est un peu compliqué de répondre, je vais essayer de faire de mon mieux!
Alors, effectivement, dans ces pratiques, il y a des pratiques qui sont, qu'on pourrait dire, “universelles” quelque part, c'est-à-dire le bien-être de la femme enceinte, mener à bien la grossesse dans les meilleures conditions possibles et ça c'est effectivement leitmotiv de la sage-femme : que l'enfant se développe bien, que la femme enceinte soit dans un bon état physique. Alors le physique est très important mais l'émotionnel aussi : si une femme enceinte n'est pas bien au plan émotionnel, il va y avoir des problèmes d'accouchement et celà va avoir une incidence sur l'état du bébé et éventuellement sur le caractère, le tempérament du bébé. Donc c'est un des rôles de la sage-femme. Ce n'est pas simplement une prise en charge, quelque part, matérielle ou technique, mais c'est aussi émotionnel. Et ça, c'est très présent, toujours. Donc ça ça m'a aussi interpellée.
Les plantes médicinales, c'est universel. C'est vrai qu'avant d'arriver au Mexique, ça ne m'intéressait absolument pas. Je ne savais même pas qu'il pouvait y avoir des plantes médicinales qui pouvaient soigner, en tous les cas encore en Europe. Donc ça, c'est universel, effectivement. On peut très bien l'utiliser dans toutes les cultures, en fonction des plantes qu'on trouve localement, évidemment. Mais c'est aussi cette approche, alors “psychologique”, je ne pense pas que le terme convienne, mais émotionnelle et globale de la femme enceinte et du bébé qui m'a complètement fascinée, parce que ça m'a fait réviser effectivement mon approche très scientifique, technique, le bien-être, les bons aliments, etc. Et aussi, l'idée des sages-femmes, c'est de préparer à la naissance pour éviter qu'il y ait des épisiotomies, éviter qu'il y ait des césariennes, éviter que le bébé soit de travers, etc.
Camille Pelloux
Et est-ce que tu penses que ces femmes, elles ont un savoir que, par exemple, en Europe, nous, on n'a pas ou qu'on n'a plus ? Comment est-ce que tu vois, en fait, on va dire, la richesse que peuvent avoir ces pratiques versus ce qui existe chez nous, on va dire, dans nos pratiques, soit aujourd'hui, soit traditionnelles. Est-ce que tu as étudié la question, en tout cas ? Est-ce que tu as essayé de te poser cette question-là ?
Claire Laurant
Oui, j'ai pas mal d'interactions aussi avec des sages-femmes européennes parce que c'est aussi intéressant, justement, d'échanger des savoirs à ces niveaux-là entre professionnels de santé qui pratiquent la même chose. C'est là où c'est légitime de transmettre éventuellement des pratiques qui viennent d'autres cultures, c'est la dynamique aussi de la thérapeutique, ou de répondre simplement à des problématiques de santé. Alors oui, j'ai été témoin de choses très importantes, par exemple comment on fait retourner un bébé qui est en siège, et donc si je te le raconte là, tu vas trouver ça comique mais ça marche, je l'ai vu pratiquer. En fait, la sage-femme fait mettre la femme enceinte à quatre pattes et elle la fait marcher en arrière à quatre pattes, et ça permet au bébé de se retourner. Plus des massages évidemment.
Camille Pelloux
Incroyable. Et donc du coup, tu as été témoin de rencontres et d'échanges entre des sages-femmes traditionnelles au Mexique et des sages-femmes européennes. Et comment ressens-tu ces interactions en général ? Est-ce qu'il y a un échange de sages-femmes ? Est-ce que c'est un échange dans les deux sens ? Comment est-ce que tu perçois ces rencontres interdisciplinaires ?
Claire Laurant
C'est toujours compliqué parce qu'effectivement, il faut que le professionnel de santé, quelqu’il soit d'ailleurs, qu'il s'agisse de sages-femmes traditionnelles ou de sages-femmes occidentales — donc qui ont reçu une formation académique, ce qui est vraiment la différence entre les sages-femmes traditionnelles d'ici et les sages-femmes occidentale —, c'est qu'il y a une demande effectivement de pratiques qui peuvent aider la sage-femme à finalement avoir plus d'outils à sa disposition pour prendre soin des femmes enceintes. Et effectivement, de ce que je vois, les sages-femmes traditionnelles sont très intéressées par la connaissance des plantes. Donc il y a des plantes, on trouve certaines plantes dans certains lieux, culturellement parlant,on utilise certaines plantes, mais parfois il y a des plantes qu'on peut trouver aussi, soit au Mexique, soit en Europe, qui peuvent être très intéressantes aussi. Et donc les sages-femmes traditionnelles sont toujours intéressées à, par exemple, un usage d'une plante qu'elles connaissent, mais auquel elles n'ont pas pensé, par exemple. Et ça, c'est hautement culturel. Pierre Lieutaghi disait des “aires géographiques de savoir” : et ça, c'est aussi une notion, un concept qui est très important parce que parfois, à 10 km de distance, pour une même pathologie, on n'utilisera pas les mêmes plantes. Et en fait, ces plantes seront quand même efficaces.
Camille Pelloux
C'est très intéressant. Et du coup, tu as répondu aussi à cette partie de la question que je t'ai posée sur comment faire un partage de connaissances dans un cadre, on va dire, respectueux. Est-ce que tu veux peut-être redévelopper un peu sur cette thématique-là ? Comment est-ce que tu crois que c'est possible de... Par exemple, aujourd'hui, on parle beaucoup d'appropriation culturelle, on parle beaucoup de dynamique d'extractivisme de pratique culturelle, etc. Et comment, du coup, c'est possible de faire un échange culturel, un échange de savoirs entre différentes cultures, sans glisser dans la dérive, on va dire ?
Claire Laurant
En fait, je résumerais ça en un seul mot, le respect. Et le respect, effectivement de la pratique et de l'autre, quel qu'il soit. À partir du moment où on ne récupère pas des pratiques pour aller quelque part les revendre, faire des formations, etc., on a reçu un enseignement, on utilise cet enseignement, on le met à profit pour le bien-être, si on est vraiment thérapeute et si on respecte effectivement la personne qui nous l'a transmis. Et dans ce cas-là, éventuellement, on voit avec la personne qui l'a transmis, si elle autorise qu'on retransmette ce savoir et dans quelles conditions. Donc on pose le cadre, mais on ne va effectivement pas faire de l'extractivisme ou un mélange invraisemblable de pratiques qu'on va revendre en package parce que c'est à la mode à l'heure actuelle.
Camille Pelloux
Ok, merci beaucoup pour cette réponse et le cadre qui a été posé. Je suis totalement d'accord et ce sont des questionnements qui sont difficiles et qui sont très importants aujourd'hui de poser sur la table.
Claire Laurant
Complètement, c'est majeur, c'est une problématique qui est majeure à l'heure actuelle. Parce que même si on n'est pas mal intentionné, on peut glisser très très rapidement dans ces récupérations de connaissances. Finalement, c'est du vol de patrimoine culturel. C'est en tous les cas de... comment on dit… Ça me vient en espagnol.
Camille Pelloux
Tu veux le dire en espagnol ?
Claire Laurant
Extradiado.
Camille Pelloux
Oui, extradiado. Mais je ne l'ai pas non plus en français, il est parfait en espagnol haha
Claire Laurant
Voilà, exactement.
Camille Pelloux
Oui, tout à fait. C'est important d'en parler. Et aussi, j'aimerais juste que tu nous rajoutes quelque chose par rapport à ton histoire avec les sages-femmes traditionnelles, c'est en quoi, toi, avec ton esprit scientifique, quand tu as rencontré ces sages-femmes, quel est ton message par rapport à cette rencontre entre les deux mondes, on va dire ? Je ne sais pas si cette question est claire, mais je sens qu'il y a quand même eu une rencontre entre deux mondes et que c'est quelque chose que toi tu essayes en tant que femme de tisser dans ta pratique.
Claire Laurant
Complètement. Ta question est absolument excellente. Parce que je ne vois pas pourquoi on voit toujours en opposition ces deux modes de pensée, la pensée analogique et la pensée synthétique, analytique, parce que l'une et l'autre sont totalement complémentaires. Et effectivement, — alors ça c’est plus personnel — l'injustice, quelque part est quelque chose qui m'insupporte et je ne comprends pas, je n'arrive pas à comprendre pourquoi on n'accepterait pas sur le même plan ces deux modes de pensée qui sont totalement complémentaires. Toutes les grandes découvertes scientifiques de l'humanité ont été faites à partir d'intuitions ou de hasards avec un grand H ou des guillemets. Donc je ne vois pas pourquoi d'un côté on rejette et même très souvent on entend employer le terme “empirisme” de façon extrêmement péjorative, alors que l'empirisme c'est simplement l'expérience pratique, clinique, quand il s'agit de thérapeutique, de tous les jours. Donc l'empirisme est quelque chose, finalement, l'empirisme c'est une démarche scientifique quelque part. Je ne vois pas pourquoi on les met en opposition.
Camille Pelloux
C'est intéressant. Et en plus, ça me fait écho aussi avec ce qui se passe au Mexique, justement, on parlait de l'état actuel des sages-femmes, de les conditions dans lesquelles elles ont droit à exercer ou pas, et on voit justement qu'il y a un vrai conflit entre la modernité et la pensée scientifique exprimée dans un certain cadre, on va dire, et les pratiques traditionnelles, c'est comme si c'était un conflit, et du coup... Peut-être que tu peux parler de cette difficulté qu'elle peut avoir cette sages-femmes traditionnelle à pouvoir exercer, parce que justement, elles ne sont pas reconnues quelque part.
Claire Laurant
Elles ne sont pas reconnues parce que, effectivement, quelque part, c'est ce qu'on appelle la médecine — alors le terme technique de la biomédecine, ou la médecine allopathique — parce qu'en fait, cette médecine se positionne en détentrice de la connaissance médicale et impose ses normes, en considérant effectivement que ses normes sont de toute façon supérieures à celles de la médecine traditionnelle. Ce n'est pas un vrai dialogue qui est instauré. Donc c'est très difficile, à partir du moment où il n'y a pas un vrai dialogue, mais imposition d'une culture ou d'un mode culturel sur un autre mode culturel, on n'est plus dans l'échange de la réciprocité, On est quelque part dans une forme de coercition. Donc c'est déjà pas acceptable, et c'est aussi une perte, finalement une perte d'intérêt dans les pratiques. J'ai un exemple qui est un peu atterrant on va dire : au Mexique se pratique, par les sages-femmes traditionnelles etc. depuis des centaines d'années probablement des millénaires, ce qu'on appelle l'accouchement vertical. Et cet accouchement vertical, donc la parturiente, s'accroche soit à son mari, soit au dos d'une chaise, soit à une corde. Et en fait, elle se met accroupie. Et donc ça lui donne beaucoup plus de force et ça permet que l'enfant soit complètement aligné quelque part. Et cet accouchement vertical, il a été interdit pendant des décennies au Mexique, jusqu'à ce qu'il y ait une anthropologue qui était payée par la sécurité sociale mexicaine pour faire un travail par rapport à ces savoirs, et qui a démontré en fait que cet accouchement vertical était physiologiquement beaucoup plus intéressant que la position allongée qui était juste confortable pour le gynécologue ou pour l'obstétricien mais pas pour la parturiente. Voilà, donc c'est un des exemples.
Camille Pelloux
Et du coup, maintenant, les sages-femmes traditionnelles, elles ont le droit d'accoucher de cette manière-là, de faire accoucher de cette manière ?
Claire Laurant
Oui, oui, tout à fait. Mais elles ont de moins en moins d'accouchement parce que les programmes de santé publique font en sorte que les femmes accouchent à l'hôpital.
Camille Pelloux
Parce que c'est ce que tu me racontais : en fait, il y a beaucoup de sages-femmes traditionnelles qui sont assez âgées, qui viennent souvent de communautés autochtones, indigènes, et qui ne parlent pas forcément l'espagnol, et qui sont parfois analphabètes, et donc du coup, on leur demande peut-être de passer des certifications.
Claire Laurant
Oui, de suivre une formation qui est imposée, en tous les cas, dans un certain nombre d'État du Mexique, et si elles n'ont pas effectivement mené à bien tout le cursus, validé leur cursus, elles n'ont plus le droit d'exercer.
Donc il y a une perte de connaissance qui est très importante, en fait.
Camille Pelloux
Donc c'est peut-être face à cette perte de connaissances que justement il y a cet intérêt aussi, tu as cet intérêt à rencontrer ces sages-femmes et à pouvoir peut-être réunir ces savoirs. Est-ce que tu sens que c'est aussi face à ça que ton travail a son importance ?
Claire Laurant
Alors peut-être, mais mon travail c'est surtout, et à tous mes collègues avec qui je travaille depuis longtemps, depuis très longtemps, c'est précisément donner de la visibilité à ces sages-femmes traditionnelles, à leurs pratiques, et de mettre un éclairage sur la pertinence de ces pratiques, sur la validité de ces pratiques, et effectivement de les soutenir, de leur donner une légitimité et de les accompagner depuis tant d'années.
Camille Pelloux
Super, ça répond très bien à ma question. Merci beaucoup.
J’aimerai aussi que l’on puisse faire un pont — tu l’as abordé déjà dans ce dont on parlait juste à présent, par rapport aux plantes médicinales, par rapport au fait que c'est grâce à la rencontre avec les sages-femmes que tu as découvert aussi le monde des plantes et tu parles aussi de ce lien que les plantes peuvent créer entre les sages-femmes de différentes tradition parce que c'est comme un élément universel, notamment dans l'accompagnement de la femme et dans le soin en général, et j’aimerai bien du coup qu'on bascule peut-être le dialogue autour des plantes médicinales. Qu’on recentre la discussion autour de ce sujet là, parce que c’est un autre de tes terrains d’explorations : tu as écrit plusieurs livres sur les plantes médicinales, et si j’ai bien compris ce que tu aimes dans cet univers là, c'est aussi de permettre de ramener ce savoir, de le rendre vivant, et de permettre que chacune et chacun, dans nos quotidiens on puisse apprendre à utiliser les plantes. Et donc j’aimerai bien que tu nous parles, en fait, de ta vision des plantes médicinales, et pourquoi c'est important et peut-être essentiel de renouer avec des savoirs-là, et pourquoi utiliser une plante pour prendre soin de soi, pour éventuellement se soigner dans certains cas, ça peut être plus intéressant que de passer par d'autres remèdes qui peuvent être parfois, qui peuvent avoir des effets iatrogènes, des effets secondaires, notamment certains médicaments, en tout cas sur certains mondes. — Parce qu’on est bien d'accord qu'on a toutes les deux une vision intégrative de la santé, et donc en aucun cas on est dans une vision pure l’un ou pure l’autre, on est vraiment là dans la réconciliation.
Claire Laurant
Oui on n'est pas dans la dichotomie, ce serait effectivement contradictoire avec tout ce qu'on vient d'échanger jusque-là.
Camille Pelloux
Mais du coup, est-ce que tu veux nous parler de ton rapport aux plantes médicinales et quelque chose que tu as envie de raconter autour de ces grandes dames ?
Claire Laurant
Effectivement, mon intérêt ou passion pour les plantes médicinales découle de tout ce que j'ai partagé avec ces sages-femmes traditionnelle — si je n'avais pas rencontré les sages-femmes je ne me serais pas intéressée aux plantes médicinales et à la tradition, parce qu'en fait ce qui est très intéressant c'est d'aller regarder les usages traditionnels des plantes, de toute façon on part toujours de ces usages traditionnels, qui sont pour la plupart des plantes, en tous les cas Si on parle des plantes de l'Europe du Nord, par exemple, ou de l'Europe tempérée, ce sont des plantes qui sont la plupart du temps utilisées depuis plusieurs millénaires. Alors là, on n'est plus dans une tradition orale, on est dans une tradition écrite, et sur certaines plantes, on a 15 000 ans de recul d'usage. Simplement, le romarin, la chicorée, et ces usages sont parfaitement bien décrits, et on a une continuité absolument fascinante. On prend la chicorée, elle était utilisée dans la Grèce antique, dans l’Egypte, dans la Haute-Égypte, dans exactement les mêmes indications qu'on utilise à l'heure actuelle. Donc en fait, l'apport de la science là-dedans, c'est d'avoir découvert la composition chimique des plantes, et effectivement, ça c'est déjà fascinant quand on sait que dans une plante médicinale, il y a au moins une centaine d'actifs, parfois beaucoup plus. Mais quelle est la grande différence du coup avec — et je parlerai peut-être de la reine des prés ou du saule après, parce que ça illustre bien l'intérêt de pourquoi on utiliserait une plante médicinale dans l'arsenal thérapeutique qu'on a la chance d'avoir à l'heure actuelle en Europe, justement parce que ces plantes sont vivantes, font partie du vivant. Donc l'homme, tous les règnes sont en interdépendance, en interconnection, une plante médicinale correspond à un besoin de l'homme au même titre que l'alimentation, évidemment avec des modes d'action différents, bien sûr, et que ces plantes médicinales répondent à des besoins et sont reconnues par l'organisme. A la différence d'une substance de synthèse. qui peut être très intéressante dans certaines situations, bien sûr, mais qui n'est pas reconnue par l'organisme, et donc qui va être traité comme ce qu'on appelle un xénobiotique, c'est-à-dire une substance étrangère au corps, et qui va être donc de toute façon systématiquement détoxifiée par le foie comme un élément étranger. Alors qu'une plante médicinale, dans son “entièreté”, entre guillemets bien sûr, quand on entend plante médicinale, par exemple si on parle de la mélisse, c'est la feuille qui est la partie médicinale de la plante. Donc c'est la feuille avec tous les actifs qui la composent. L'exemple intéressant, c'est la reine des prés, ou le saule. De ces deux plantes, on a extrait l'acide salicylique, qui est devenu l'aspirine, et qui a donné le premier brevet sur un médicament en 1899. Il s'agit d'une substance isolée, d'une molécule isolée qui se transforme, qui devient efficace par chauffage, et qui devient l'acide acétylsalicylique qu'un chimiste allemand des laboratoires Bayer à la fin du XIXe siècle a réussi à synthétiser et donc à donner la fameuse aspirine qu'on connaît. D'ailleurs, l'étymologie d'aspirine, c'est spirea qui était l'ancien nom scientifique de l'aspirine. Et salicylé, en fait, c'est à la fois le nom de famille du saule et son nom scientifique qui est salix alba (il y a d'autres saules qui donnent aussi cette molécule). Et donc, tout le monde sait que l'aspirine est utilisée comme anti douleur et comme fébrifuge et comme anti-inflammatoire. Ce qu'on sait aussi, c'est que cette molécule, elle crée en fait une irritation des muqueuses et notamment de l'estomac qui peuvent mener à un ulcère à l'estomac. Or, dans les indications traditionnelles de la reine des prés, il y a l'ulcère à l'estomac. Pourquoi ? Parce qu'en fait, le fameux acide est tamponné par les autres substances présentes dans la plante. Et la pharmacologie a fait pas mal d'études sur à la fois la reine des prés et le saule et a démontré en fait que le potentiel anti-inflammatoire, fébrifuge et anti douleur de la reine des prés ou du saule est aussi efficace que la molécule isolée et synthétisée, mais qu'elle n'a pas d'effet secondaire.
Camille Pelloux
C'est intéressant que tu racontes parce que justement, j'ai eu en clinique, exactement ce cas-là, une personne que j'accompagnais et qui avait un trop grand nombre de globules rouges et qui avait une viscosité sanguine, donc de l'hypertension. Et donc, son médecin lui a prescrit de l'aspirine. Et pour cette indication-là, et après plusieurs semaines d'usage de l'aspirine, en fait, elle ne dormait plus parce qu'elle se réveillait avec des acidités d'estomac et des grandes grandes grandes gênes qui vraiment l'empêchait de s'endormir, la réveillait la nuit et donc du coup on a travaillé avec la reine des prés. Et elle a plus du tout eu ses problématiques et elle a eu des très bons résultats aussi par rapport à sa problématique d'hypertension puisque l'acide salicylique ou la reine des prés ont cette action de pouvoir fluidifier le sang. Donc exactement ce que tu racontes, que tu peux partager dans un cas clinique, on va dire.
Donc pour résumer ce que tu partages, tu partages que les plantes médicinales font partie de notre environnement, de nos usages depuis la nuit des temps, qu'on en a des traces écrites, et ce que tu partages aussi c'est que l'intérêt d'une plante médicinale qui est utilisée dans sa globalité, on va dire, elle est très intéressante puisqu'elle est reconnue par l'organisme, tandis que certains, on va dire, “xénobiotiques” qui sont utilisés dans les médicaments vont être non reconnus par l'organisme et vont demander au corps un travail supplémentaire, notamment de détoxication par le foie.
Claire Laurant
C'est pour ça qu'il y a autant d'effets secondaires avec les médicaments.
Camille Pelloux
C'est très intéressant de noter ça. Donc ça serait peut-être une réponse à la question pourquoi les plantes versus la molécule extraite, soit dans un complément alimentaire — parce qu'aujourd'hui c'est aussi la mode, pas que des médicaments, mais aussi des compléments qui vont extraire certains principes actifs et les isoler des plantes. Donc ça c'est intéressant.
Claire Laurant
Oui, on a un mi-chemin avec les compléments alimentaires, on a un mi-chemin en fait entre le médicament délisé, on n'est plus dans la plante médicinale la plupart du temps, on a des additifs, donc ces additifs sont des substances de la même façon qu'ils vont être non naturels non reconnus par l'organisme et donc qui vont faire entraîner un effort supplémentaire du foie pour être détoxifié. Et puis pourquoi des compléments alimentaires si on a une alimentation saine avec les apports en nutriments dont on a besoin
Camille Pelloux
C'est vrai que c'est une question qui revient souvent et quand on écoute certains
courant de pensée, voilà, la réponse qui est dite souvent c'est que il y a une perte importante dans les aliments qu'on mange aujourd'hui, qu’il a beaucoup moins de nutriments, et que surtout moi ce que je peux observer en cabinet c'est qu'on a des grandes difficultés digestives, on n'absorbe plus, on n'assimile plus, du coup c'est comme si on avait besoin d'augmenter la quantité de nutriments absorbés pour pouvoir les intégrer, les assimiler. Donc la réponse parfois c'est celle-là. Toi tu en penses quoi ?
Claire Laurant
Oui, il y a effectivement deux réponses à ça. Il y a une réponse qui est a priori si on consomme les aliments de saison dont on a besoin là où on vit, qui correspondent aux besoins de l'organisme. Une personne qui vit en Europe tempérée ou qui vit dans le désert du kalahari, n’aura pas les mêmes besoins nutritionnels, et donc ça non seulement le climat mais la nature des sols influence aussi bien finalement tout le vivant c'est à dire pas simplement les plantes ou les légumes qui poussent dans le lieu mais aussi l'humain et les animaux qui vivent là. Et donc on a besoin de certains aliments à certaines saisons et d'ailleurs tout ne pousse pas à la même saison, même dans les pays tropicaux où le climat est finalement assez homogène tout au long de l'année. Ça c'est une réponse.
La seconde réponse c'est que effectivement l'industrie des compléments alimentaires est un gigantesque business. Tout en sachant aussi que la qualité d'un complément alimentaire n'est pas la qualité d'un médicament. Mettre sur le marché un complément alimentaire ne requiert pas la même chose que de mettre sur le marché un médicament, même quand il s'agit de médicaments en base de plantes.
Camille Pelloux
Justement, je crois que c'est une connaissance à toi Dr Aline Mercan, parce que là il y a son livre qui est juste en face de moi, dans le Manuel de Phytothérapie Écoresponsable, justement, au début de ce livre, elle explique en quoi aujourd'hui, il y a un biais parce que les compléments alimentaires, ils ne passent pas par les mêmes réglementations. Il y a beaucoup de compléments alimentaires qui ne passent pas par les mêmes règles de régulation que des médicaments. Et donc, la qualité des compléments alimentaires aussi, elle peut être mise en question.
Claire Laurant
Bien sûr. Bien sûr, on ne demande pas la même chose, enfin c'est un dossier qui est relativement simple, mais sur le marché d'un complément alimentaire, il s'agit effectivement de décrire la bonne espèce, la bonne partie de plantes utilisées, quelle forme on utilise, etc. Et puis voilà on remplit ce dossier, mais en même temps qu'on dépose ce dossier, en tous les cas pour la France, c'est l'agence de sécurité alimentaire qui gère les dossiers des compléments alimentaires, alors qu'un médicament, c'est l'ANSM, donc c'est l'agence de sécurité des médicaments en France. Donc ce sont deux agences différentes avec finalement deux objectifs différents. C'est un complément alimentaire c'est dans le registre de l'alimentation, donc très souvent ils sont sous-dosage pour effectivement qu'il n'y ait pas l'effet biologique d'un médicament et donc non seulement il n'y a pas une quantité suffisante d'actifs dedans pour que ce soit efficace, mais bien souvent aussi, il n'y a pas la qualité des plantes. Voilà, il y a toutes ces raisons-là.
Camille Pelloux
Ça me fait penser que j’aimerai justement qu'on parle de la qualité des plantes. Tu as dit quelque chose tout à l'heure qui était très intéressant sur la mélisse. Tu disais que la partie principale de la plante de la mélisse se trouve dans la feuille. C'est vrai que des fois, quand on commence à s'intéresser aux plantes, on ne sait pas trop. Mais c'est vrai que quand on étudie les plantes, on sait que les principes actifs en général sont, sauf cas exceptionnel, concentrés dans certaines parties des plantes et que du coup ça demande, de transformer les plantes, ça demande une certaine forme de connaissance pour savoir quelle partie de plantes on doit utiliser pour que ça soit efficace. Est-ce que tu as envie de parler un petit peu de ça justement, de ces prérequis on va dire pour utiliser les plantes d'une manière la plus utile et efficace possible.
Claire Laurant
Oui, volontiers. En fait déjà en parlant de principe actif, il y a plusieurs classes de principes actifs dans les plantes. Et donc, les principes actifs qui nous intéressent en thérapeutique ne sont pas forcément les mêmes principes actifs des plantes qui vont nous intéresser dans l'alimentation, déjà. Et ça, c'est très étudié. Enfin, la recherche actuelle est intéressante parce qu'elle met aussi en lumière ces choses-là. Et les parties de plantes utilisées, bien souvent c'est la tradition qui nous le dit. Il y a finalement peu de nouvelles découvertes de plantes qui ont une efficacité remarquable en thérapeutique sans qu'il y ait eu des usages traditionnels dans un pays ou un autre, ou dans une région ou une autre. Et d'ailleurs ça, ça renvoie aussi vers plusieurs questions, ou en tous cas plusieurs notions, qui sont qui sont très importantes à aborder — et merci de faire le lien avec le livre d'Aline Mercan, parce qu'il y a la question de l'éthique qui est très importante — et la question par ailleurs de la qualité des plantes. En fait, qu'est-ce qui fait qu'une plante est de bonne qualité ? C'est qu'elle pousse dans le sol qui lui convient, qui est adapté et qui va lui permettre effectivement de développer les actifs qu'on attend d'elle pour se soigner. Si on fait pousser n'importe quelle plante n’importe où, on n'aura pas forcément les bons actifs, elle n'aura pas forcément la bonne efficacité, ou alors peut-être tout d'un coup il y aura un actif indésirable qui va se développer beaucoup trop. Donc c'est pour ça déjà que c'est très important de respecter les conditions dans lesquelles les plantes se développent, et effectivement de la nature, de la qualité du sol, on va voir la qualité de la plante médicinale. Exactement la même chose avec finalement les légumes et les fruits. C'est exactement la même logique. Ça d'une part, d'autre part, effectivement, toutes les plantes ne correspondent pas à tout le monde. Et certaines plantes, on a souvent, enfin l'humain est ce qu'il est, et on s'imagine toujours que la plante qui vient de l'autre bout du monde est une panacée universelle et qu'elle va nous soigner tous les maux. Ça, ça fait, de toute façon, je pense que depuis que l'humain est humain, on est dans cette logique-là. Le premier crash boursier a eu lieu au Moyen-Âge sur la spéculation des bulbes de tulipes, parce que les bulbes noirs des tulipes de Turquie étaient beaucoup plus intéressants, et ça a fini par amener un crack boursier. Finalement, on est toujours dans cette logique-là quand on veut aller chercher de la maca ou de l'harpagophytum, ou même simplement de la stevia. Parce que la stevia, c'est une plante du peuple Guarani, donc c'est un peuple autochtone qui est essentiellement au Paraguay et qui utilise depuis des centaines d'années cette plante qui a un pouvoir sucrant qui est très important. Et cette plante, elle a été volée au Guarani par plusieurs multinationales qui font des milliards de royalties dessus. Et jusqu'à présent, les Guaranis n'ont pas reçu un centime sur la plante. Alors ça, on parle d'alimentation, mais elle est intéressante aussi pour les diabétiques cette plante, parce qu'elle a un pouvoir sucrant, je crois, 400 fois supérieur, si je ne dis pas de bêtises, au sucre de canne ou au sucre de betterave, mais en plus, elle n'a visiblement pas d'incidence sur la glycémie. Donc elle est intéressante, quelque part, comme médicinale, surtout dans le contexte actuel. Mais par exemple, on prend l'harpagophytum — l'harpagophytum, déjà le nom scientifique, c'est le nom du fermier qui a volé la connaissance de la plante.
Camille Pelloux
Elle vient d'où cette plante ?
Claire Laurant
Elle vient d'Afrique du Sud, justement du Botswana et du désert du Kalari. C'est une plante que tout le monde connaît, qui soigne les rhumatismes, les douleurs rhumatismales. C'est la racine qui est utilisée. C'est une racine qui met plusieurs années à pousser, comme d'ailleurs beaucoup de plantes qu'on appelle adaptogènes.
Camille Pelloux
Ça c’est important de le noter.
Claire Laurant
Et cette plante, donc, elle est en voie d'extinction, elle est surexploitée par les occidentaux. Donc on prive des gens dans un pays, dans une région donnée, de leurs ressources thérapeutiques. Non seulement on les prive de leurs ressources thérapeutiques, mais en plus, à terme, dans 10 ans ou 20 ans, cette plante n'existera plus. C'est la même chose avec la rhodiole, qui est très à la mode en ce moment, alors que à portée de main on a toutes les plantes qu'il faut en Europe on a des dizaines de plantes anti-inflammatoires, anti-rhumatismales.
Camille Pelloux
Par exemple il y en a deux qu'on a mentionnées tout à l'heure au début du podcast qui sont ?
Claire Laurant
La reine des prés, le saule et il y en a une autre qui est cultivée dans nos régions et qui est absolument extrêmement efficace qui s'appelle les feuilles de cassis ou le cassis en gemmothérapie qui est encore une autre forme galénique. Et donc cette plante, on peut l'utiliser pendant des centaines d'années, il n'y aura pas de problème de pression sur la ressource. Donc effectivement, utiliser des plantes médicinales, c'est aussi réfléchir à quelles conditions elles ont été commercialisées, quels sont les circuits d'approvisionnement, comment elles sont préparées, etc. !
Camille Pelloux
Super merci beaucoup de mentionner toutes ces thématiques là qui sont extrêmement, extrêmement, extrêmement importantes. Et donc du coup voilà ça veut dire, apprendre à utiliser les plantes médicinales, c'est aussi peut-être se questionner sur l'origine des plantes, et essayer de prioriser au maximum des plantes qui sont, on va dire, soit endémiques de chez nous et dont les ressources non mises en danger, donc qui sont encore en abondance, ou des plantes qui ont été naturalisées, ou qui en tout cas ont été introduites depuis un certain nombre d'années et qui se trouvent bien épanouies chez nous. En tout cas, c'est essayer au maximum de s'informer et de se tourner vers des plantes qu'on a autour de chez nous et si possible des plantes qui ne sont pas en voie d'extinction parce que même des plantes de chez nous, il y a l'exemple de la gentiane, c'est la racine aussi qu’on utilise, ou le genepy, ou l’arnica, qui sont des plantes locales notamment chez nous dans les Alpes — mon autre maison — voilà il y en avait partout de ces plantes dans les Alpes et pourtant même si elles poussent autour de nous, elles sont en danger. Ça c’est un autre point. C'est Oui, chercher des plantes qui sont autour de notre maison, mais aussi s’informer sur l’état des ressources.
Claire Laurant
Absolument. C’est majeur quand on utilise les plantes médicinales, surtout pour les thérapeutes qui utilisent les plantes médicinales.
Camille Pelloux
Oui c'est important de le noter. Et est-ce que tu veux développer encore des informations à propos de cette éthique d'utilisation des plantes ? Est-ce qu'il y a d'autres éléments qui sont importants ? Parce que je pense que ça peut être un point qu'on peut partager avec les personnes qui écoutent le podcast, c'est-à-dire à quoi on peut penser pour essayer d'utiliser les plantes de la manière la plus juste possible, et est ce que tu as quelques conseils aussi
Claire Laurant
Comme les fruits et légumes utiliser les circuits courts, locaux et effectivement le moins transformé possible. Parce que finalement plus on transforme une plante c'est comme comme les aliments, moins elle est alors entre avec beaucoup de guillemets “naturelle” — en fait naturel c'est finalement authentique et proche de ce qu'elle est dans la nature et donc on en revient toujours à la même chose : reconnaissable par l'organisme. Plus elle va être transformée, même dans ce qu'on appelle des galéniques, c'est-à-dire les façons de préparer les plantes pour qu'elles soient le plus efficaces possible en thérapeutique, plus on utilise des galéniques complexes avec des étapes de transformation différentes, plus on va dénaturer ce que la plante était à l'origine. Et donc on ne va plus être dans la même logique thérapeutique de prise en charge globale et de rééquilibrage des fonctions physiologiques que ce qu'on va être avec une molécule qui va avoir une action sur un site récepteur bien précis, dans un objectif bien précis. On est dans une autre logique. On est dans une logique d'accompagnement de la santé finalement.
Camille Pelloux
Et donc du coup toi, quelles sont les formes galéniques que tu recommandes ?
Claire Laurant
Mes formes galéniques préférées sont la tisane, évidemment j'ai écrit un livre sur les plantes en tisane. Et bien sûr la gemmothérapie qui est une forme relativement nouvelle, une galénique relativement nouvelle mais très intéressante.
Camille Pelloux
Tu peux juste développer rapidement ce que c'est parce que peut-être ça ne parle pas tout le monde.
Claire Laurant
Alors c'est l'usage en fait, au lieu d'employer par exemple, on revient à l'exemple du romarin ou du cassis, d'ailleurs, les deux plantes sont intéressantes. Le romarin, quand on utilise le romarin en tisane, on va utiliser les feuilles, les parties aériennes, avec pas trop de bois, parce que c'est une plante qui fait du bois. Alors que quand on va faire une préparation en gemmothérapie avec le romarin, on va utiliser les jeunes pousses. Donc quand on observe un romarin, on voit que les feuilles qui ont déjà quelques mois vont être vert foncé alors que les jeunes pousses vont être vert clair. Donc c'est ces jeunes pousses qu'on va utiliser. Ces jeunes pousses en fait elles contiennent tout le potentiel de la plante en devenir. Et c'est un médecin belge qui s'appelait Paul-Henri qui a développé effectivement cette nouvelle forme galénique on pourrait dire, qui en fait a fait un rapprochement entre les sols sur lesquels les plantes poussent, dans lesquels les plantes poussent, et l'état du terrain de ses patients. Et c'est comme ça qu'il a commencé à utiliser cette forme galénique, et notamment avec une action sur l'inflammation, en fait sur les réactions du système immunitaire. Parce que finalement on pourrait se dire que l'état du système immunitaire, c'est la porte d'entrée de l'organisme, c'est le gardien du seuil, c'est ce qui va permettre finalement de maintenir une bonne santé et d'éviter de développer des pathologies. On peut parler du cassis aussi. Le cassis, les feuilles sont utilisées pour détoxifier depuis très longtemps, c'est un grand détoxifiant rhumatismal. Or on s'est rendu compte que quand on utilise ces bourgeons de cassis donc en gemmothérapie, la plante va être effectivement très anti-inflammatoire et même cortisone like et qu'elle va être ce qu'on appelle adaptogène, c'est à dire qu'elle va aider l'organisme à faire face aux situations auxquelles il a à faire face. Cela peut être simplement un état de stress, ça peut être un état des amplitudes thermiques importantes, qu'on vit assez souvent à l'heure actuelle, on passe du chaud au froid, du froid au chaud, l'organisme n'a pas le temps de se préparer, et du coup, ça engendre un état de stress intérieur. Et donc, le cassis va être utile dans ces cas-là.
Camille Pelloux
Et est-ce que tu peux peut-être juste dire, parce que du coup, la gemmothérapie, c'est l'utilisation des parties de jeunes pousses ou de bourgeon, et normalement c'est ce qu'on appelle un macérat glycériné. Est-ce que tu veux lui dire du coup un petit mot là-dessus ?
Claire Laurant
Oui, oui, tout à fait. Et donc ce qu'on utilise en fait, c'est trois solvants d'extraction. Donc des solvants d'extraction, c'est quelque part le véhicule qui va permettre l'expression des principes actifs dans le médicament qu'on va utiliser. Simplement la tisane c’est l’eau. La tisane, on sait qu'il y a beaucoup de composés hydrosolubles, y compris même un peu des huiles essentielles, qui vont être extraites et donc apporter un bénéfice très important à l'organisme. La gemmothérapie, on utilise à part égale trois solvants différents, l'eau, la glycérine et l'alcool. Et donc ça va permettre une extraction complémentaire des actifs. Et c'est une forme galénique qui peut être très intéressante dans certains cas.
Camille Pelloux
Donc du coup, tu recommandes la tisane, donc avec le solvant de l'eau, la gemmothérapie, donc ces partie de pouces et de bourgeon, qui sont macérés à un tiers de glycérine végétale, un tiers d'eau, un tiers d'alcool, et puis tu recommandes aussi...
Claire Laurant
Les teintures, notamment les teintures mères homéopathiques, parce qu'elles sont le plus souvent faites à partir de la plante entière fleurie fraîche, et donc qui apportent aussi un potentiel de plantes vivantes intéressant. Et puis il y a toutes les formes galéniques en fonction des objectifs thérapeutiques si on a besoin d'une huile, d'une pommade d'une macération…
Camille Pelloux
Moi je dis aussi que j'aime bien le vinaigre médicinal pour les personnes qui ont des petits troubles digestifs, en tout cas un peu de mal à digérer, voilà j'aime bien leur proposer ça aussi.
Claire Laurant
Absolument. En fait il faut aller regarder dans les formes traditionnelles : les fermentations, les boissons fermentées… Autrefois finalement on utilisait beaucoup les vins médicinaux ou les fermentations.
Camille Pelloux
Super intéressant merci beaucoup. Donc le choix de la galénique c'est un point essentiel aussi pour utiliser les plantes médicinales de manière la plus correcte possible et puis du coup dans la plupart des formes galéniques que tu as partagé qu’on peut utiliser, c'est des formes qu'on peut faire à la maison donc ça permet aussi à chacune et chacun peut-être de redévelopper un lien avec les plantes…
Claire Laurant
Et de prendre en charge sa santé de façon dynamique.
Camille Pelloux
Exactement. Merci beaucoup pour ce partage.
Donc, parties de plantes important à savoir : la galénique du coup a utiliser
Claire Laurant
la qualité des plantes, où elles poussent, d'où elles viennent.
Camille Pelloux
La qualité des plantes, d'où elles poussent, d'où elles viennent. Et puis, je voudrais rajouter, si tu me permets, comment elles ont été transformées, comment elles ont été récoltées. Ça, c'est aussi un point essentiel. Aujourd'hui, l'industrie des compléments alimentaires, par exemple, ou certains laboratoires peut-être, pour avoir de la quantité, pour avoir du rendement, vont peut-être pas respecter le processus naturel de la plante, vont peut-être couper le cycle de la plante, et du coup, on n'a pas forcément des plantes qui sont dans leur plan potentiel.
Claire Laurant
Bien sûr, ça c'est très important, observer un parterre de soucis. On aura un jour trois capitules à maturité, le lendemain trois autres, etc. C'est comme les fruits qui sont récoltés avant maturité pour ne pas qu'ils pourrissent, parce que tout est mécanisé, ça ne donne pas effectivement les aliments, les nutriments dont on a besoin ou les métabolites qui vont aider à soigner quand il s'agit de plantes médicinales.
Camille Pelloux
Ça c'est un point essentiel aussi parce que ça veut dire que pour qu'une plante médicinale soit réellement essentielle, il y a quand même un certain nombre d'éléments à prendre en considération. Et donc c'est là où c'est important aussi de savoir à qui on achète nos plantes, qui les transforme.
Claire Laurant
Et qui nous les conseille aussi parce qu'en fait on ne s'invente pas phytothérapeute ou herboriste du jour au lendemain. Utiliser des plantes médicinales, c'est finalement connaître un certain nombre de disciplines, c'est faire appel à un certain nombre de disciplines, entre la galénique, les dosages, les posologies. Paracelse disait bien « tout est remèdes, tout est poison », ce n'est qu'une question de dose, donc dans quelle fenêtre c'est efficace, ou ça ne l'est pas, ou ça devient toxique. Donc ça aussi c'est très important de connaître ça. Et effectivement l'éthique aussi, l'éthique, la qualité des sols. Finalement une plante médicinale c'est je ne sais combien de disciplines qu'il faut connaître.
Camille Pelloux
Complètement. Oui et puis du coup ça me donne envie aussi de rappeler que si vous utilisez une plante médicinale, regardez bien son cas d'utilisation, les contre-indications, les interactions médicamenteuses, les effets secondaires. Parce que c'est pareil, il y a certaines plantes qui sont inoffensives mais il y en a d'autres qui ont un bon nombre de contre-indications…
Claire Laurant
La sauge étant un des très bons exemples. On ne donne pas de sauge à une femme qui est enceinte, on ne donne pas de sauge à un enfant de moins de 12 ans parce qu'il y a des substances qui sont neurotoxiques dans la sauge, et on ne donne pas de sauge à une femme qui a des risques ou qui a un cancer hormonodépendant parce que la sauge est oestrogène like et donc elle va stimuler la production des oestrogènes et donc il va y avoir des interactions, un risque effectivement de stimulation des récepteurs par exemple.
Camille Pelloux
Donc ça veut bien dire que avant d'utiliser les plantes ou de conseiller les plantes c'est important de pouvoir les connaître et en tout cas s'informer et se documenter sur la question.
Claire Laurant
Et j'ajouterais : de connaître le nom scientifique de la plante.
Camille Pelloux
Pourquoi ?
Claire Laurant
Parce que précisément, les noms communs qu'on appelle les noms vernaculaires, en fait un même nom, on a parlé de la mélisse, et bien la mélisse au Mexique, ce n'est pas la mélisse, c’est une autre plante. Il y a plein d'exemples comme ça, par exemple dans les Alpes on entend parler de l'isope, l'isope qui est une plante a priori qui est hyssopus officinalis, qui est une plante antitussive en cas de toux grasse et fébrifuge, cette plante, cette isope des Alpes, c'est absolument pas hyssopus officinalis, c'est une autre plante. Donc, il faut absolument être sûr de quelle plante on utilise, sinon on ne sait pas ce qui va se passer.
Camille Pelloux
Et ce nom scientifique, du coup, il veut dire quoi ? Il y a deux mots en général. Est-ce que tu veux dire que c'est ? Mais rapidement c’est juste pour que les gens comprennent…
Claire Laurant
Alors, effectivement, c'est ce qu'on appelle une nomenclature, un système de référence qui a été mis en place au XVIIIe siècle par Linné, par le botaniste suédois Linné, avec effectivement deux noms composés, par exemple la mélisse qui est Mélissa officinalis, Mélissa ça va être le nom de genre et officinalis ça va être le nom d'espèce. Et donc dans le genre Mélissa, on pourra trouver un certain nombre d'espèces, mais ce ne seront peut-être pas les espèces qui vont être thérapeutiques. Et donc le nom d'espèce officinalis nous indique que c'est ,effectivement, bien l'espèce qui va être utilisée en thérapeutique.
Camille Pelloux
Super, ça c'est très important de rappeler ça. Et c'est vrai qu'aujourd'hui on voit passer plein d'informations et souvent il n'y a pas les noms scientifiques.
Claire Laurant
Non.
Camille Pelloux
Et malheureusement, du coup, on ne sait pas de quelles plantes on parle.
Claire Laurant
Exactement, et ça peut être parfois, alors pour la mélisse c'est peut-être pas si grave que ça, mais pour certaines plantes ça peut être très grave, parce qu'on s'imagine utiliser une plante pour un certain objectif thérapeutique et puis en fait la plante qu'on est en train d'utiliser n'a rien à voir.
Camille Pelloux
Merci pour cette mention aussi, et j'avais envie de terminer, en tout cas aborder dans cette fin d’interview un dernier point qui est celui des huiles essentielles, parce qu'on a parlé, en tout cas si on peut brièvement l'aborder, parce qu'il y a plusieurs éléments que tu as partagé qui m'ont fait venir à cette notion-là : la galénique, le fait d'utiliser la plante dans sa globalité plutôt que d'extraire certains principes, on a parlé de toxicité, on a parlé aussi de l'importance de se soucier des ressources. Du coup, tout ça, ça a fait des liens dans ma tête et il y a un flacon de l'huile essentielle a commencé à clignoter devant mes yeux. Est-ce que tu veux juste aborder voilà rapidement le sujet ?
Claire Laurant
Oui, les huiles essentielles sont très à la mode à l'heure actuelle. Ce n'est pas le totum de la plante, ce n'est pas la plante entière qui est utilisée, c'est une concentration des molécules aromatiques. C'est une forme galénique extrêmement puissante qui peut être utilisée dans certaines circonstances très précises et uniquement par des professionnels de santé qui les connaissent. Parce qu'il y a beaucoup de contre-indications à cette forme galénique à cause de cette concentration de molécules qui peut entraîner par exemple, on voit conseillées des huiles essentielles à des jeunes enfants… Mais les huiles essentielles sont hépatotoxiques, parce qu'en fait, les molécules d'origine des huiles essentielles sont des hydrocarbures, et c'est d'autant plus dangereux chez les jeunes enfants car le foie n'est pas mature. Donc ça, c'est des choses importantes à savoir, mais il y a aussi beaucoup d'huiles essentielles qui sont neurotoxiques, donc qui peuvent entraîner une certaine toxicité. Ce sont bien souvent ces hydrocarbures, et ça c'est très documenté, ce sont des perturbateurs endocriniens, donc on ne va pas les utiliser sur le long terme. Et on ne va pas les utiliser pour des pathologies qui n'ont pas besoin d'utiliser les huiles essentielles. Je compare très souvent les huiles essentielles aux antibiotiques. Finalement, c'est la même puissance, c'est la même utilité. Dans certains cas, c'est très utile d'avoir des huiles essentielles : on ne va pas soigner une gale en appliquant des tisanes dessus, c'est un exemple.
Et puis il y a aussi autre chose qui est très importante à savoir, c'est la quantité de plantes requises pour fabriquer des huiles essentielles. Pour faire par exemple 500 ml d'huile essentielle de verveine odorante, il faut une tonne de feuilles. Donc il y a une pression très importante sur l'environnement. Finalement, c'est une forme galénique qu'on pourrait dire anti-écologique. À l'heure actuelle, on est tellement sensibilisés à ces problématiques-là. Pour imprégner 2000 granules homéopathiques, il faut 1 ml de solution. Donc c'est exactement l'opposé. Et l'opposé aussi dans la logique. La logique des huiles essentielles, c'est finalement une même logique de puissance que un médicament de synthèse qui ne va pas en tous les cas avoir un effet, une action globale de rééquilibrage des fonctions physiologiques. On est dans une logique de l'aigu et de la puissance.
Camille Pelloux
Tout à fait. Merci beaucoup. Même si aujourd'hui il y a aussi une utilisation des essentiels qui peut être faite parce que certains disent qu'au niveau de l'essence, un travail peut-être plus subtil ça peut être intéressant, aujourd'hui, on va dire qu'on revient à cette conclusion parce qu'il y a tellement une surutilisation.
Claire Laurant
Complètement, une surutilisation avec danger pour les personnes et danger pour l'environnement. Et pour l'instant, on n'en a pas conscience. On n'a absolument pas de recul toxicologique dessus. Il n'y a pas d'étude de toxicologie sur les huiles essentielles. Et donc, on ne sait pas si dans dix ans, on ne va pas se retrouver avec une interdiction d'utiliser les huiles essentielles, ce qui serait très dommage parce que c'est aussi une forme galénique qui peut être très utile dans certaines circonstances.
Camille Pelloux
Encore une fois, c'est dans le bon contexte, sur la bonne personne, la bonne plante, la bonne période.
Claire Laurant
Voilà, et puis alors effectivement après il y a toutes les questions — mais là c'est rentrer un peu trop longuement dans le sujet — mais toutes les questions de qualité. Parce qu'en fait comme ça demande énormément de matière première, on trouve une qualité très différente en fonction des fournisseurs.
Camille Pelloux
Oui, c'est ça. Et puis, comme en stressant la plante, on augmente sa concentration d'huile essentielle, on voit aussi des monocultures de lavande, par exemple, où on stresse les plantes volontairement pour qu'elles produisent encore plus d'huile essentielle. Et on se retrouve avec des plantes qui sont absolument exploitées. On n'a plus du tout une relation symbiotique.
Claire Laurant
Exactement. Alors, bien sûr qu'il y a des gens qui distillent les plantes dans le plus grand respect, bien sûr. Mais c'est vrai que c'est plutôt dans la logique de la culture intensive. Et d'ailleurs, c'est assez intéressant parce qu'à l'heure actuelle, il y a des gros problèmes avec les cultures de lavande, les cultures intensives de lavande, avec un développement effectivement de parasites qui font que la ressource devient précaire.
Camille Pelloux
De toute façon, à partir du moment où il y a de la monoculture, on a des plantes qui sont en général moins résistantes, des terres qui s'appauvrissent. Une dynamique qu'on voit aujourd'hui de plus en plus. Qu'on connaît dans d'autres domaines et qu'on voit aussi apparaître dans le domaine des plantes médicinales. Même si, effectivement comme tu dis, il y a des producteurs qui le font dans le plus grand respect. Donc si on utilise les plantes essentielles, qu'on sait les utiliser, se tourner au maximum vers des producteurs dont on connaît les pratiques et la qualité.
Claire Laurant
Bien sûr, les bonnes pratiques, c'est quelque chose de très important. Et puis, effectivement, de choisir la bonne galénique en fonction de son objectif thérapeutique. Mais pas de réfléchir à déduire le moindre rhume ou en prévention, j'utilise des huiles essentielles, non.
Camille Pelloux
Bien sûr. Merci pour tous ces partages. Est-ce que tu as d'autres partages que tu as envie de faire ? Est-ce qu'il y a des messages à faire passer supplémentaires ?
Claire Laurant
Ce qui me viendrait, c'est ce que j'ai dit par rapport au savoir traditionnel et aux échanges traditionnels. En fait, ce qui est important, c'est le respect de la plante.
Camille Pelloux
Le respect, et j'aimerais rajouter, si tu me permets, la relation d'échange, la relation de réciprocité.
Claire Laurant
Quand on parle de respect, c'est impliqué.
Camille Pelloux
Et bien écoute, Claire merci beaucoup pour ce riche échange. Je pense que les personnes qui vont écouter ce podcast, elles vont avoir matière à penser et à réfléchir. En tout cas, je trouve que tout ce qu'on s'est dit, c'est des éléments qui sont essentiels et j'espère qu’ils vont pouvoir enrichir nos pensées.
Claire Laurant
Merci Camille. Ce qui me semble primordial, effectivement, c'est d'échanger nos connaissances et de les partager pour le bénéfice de tout le monde.
Camille Pelloux
Et bien écoute, merci beaucoup et je te souhaite une bonne route sur le chemin des plantes et des savoirs traditionnels.
Claire Laurant
À toi aussi.
Camille Pelloux
Merci beaucoup.
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